Dévorer le ciel/Divorare il cielo, Paolo Giordano

L’auteur

 

Paolo Giordano est né à Turin en 1892. Docteur en physique théorique, il a publié son premier roman à l’âge de vingt-six ans et remporte un grand succès. « La solitude des nombres premiers/La solitudine dei numeri primi » a d’ailleurs obtenu le Prix Strega, faisant de Paolo Giordano le plus jeune lauréat de ce prix. « Dévorer le ciel/Divorare il cielo » est son quatrième roman. Il a paru en Italie en 2018.

 

Dévorer le ciel/Divorare il cielo

 

 

Voici un roman que j’hésite à qualifier de coup de cœur, car je l’ai beaucoup aimé et j’ai eu du mal à le lâcher, mais il m’a aussi un peu dérangée, sans que je puisse vraiment définir pour quelle raison ; peut-être parce qu’il est un peu trop dans l’air du temps. Cependant, il est de ceux qui résonnent longtemps parce qu’ils amènent une réflexion et parce qu’ils bonifient avec le temps dans la mémoire.

De Turin où elle vit avec sa famille, Teresa descend chaque été dans les Pouilles, région dont son père est originaire et où elle retrouve sa grand-mère. Elle y fait la connaissance de trois jeunes qui vivent dans la ferme voisine. C’est une famille un peu différente des autres, qui accueille des enfants en difficulté : elle est composée de trois garçons, des « frères » qui n’en sont pas vraiment, Nicola, Tommaso et Bern. Ils ne sont pas allés à l’école mais ont suivi l’enseignement dispensé par Cesare, le père, très croyant. Ce dernier utilise d’ailleurs la religion pour dominer ses « enfants » -seul Nicola est le fils de Cesare et Floriana-, mais il leur inculque aussi des principes qui les guideront dans leur vie d’adulte.

Dès le début, Teresa est captivée par Bern, et quelques années plus tard, lors d’un voyage improvisé dans les Pouilles à l’occasion du décès de sa grand-mère, elle décide de quitter Turin pour s’installer dans la petite communauté qui vit désormais dans la ferme d’à-côté : Nicola, Tommaso et Bern, aidés par Giuliana et Corinne. Ces jeunes exploitent désormais les fruits de la terre. La décision de Teresa, prise au grand dam de ses parents, va l’entraîner sur des chemins très différents de ceux que sa vie d’étudiante laissait présager.

« Dévorer le ciel » est un roman d’apprentissage sur fond de préoccupations écologiques. Très tendance donc, même si la veine n’est pas nouvelle. Le roman m’a en effet rappelé « Deux sur deux », un roman italien également, écrit par Andrea De Carlo en 1989, mais publié en 2018 en français et dans lequel les protagonistes mettent sur pied une petite communauté en Toscane (bien que cela ne constitue pas l’essentiel du roman de De Carlo).

Dans « Dévorer le ciel », de jeunes adultes recherchent aussi un sens à donner à leur vie. Ils refusent les excès du matérialisme ambiant et veulent limiter leur impact sur la nature.  Ils développent donc une petite activité agricole, à partir du potager biologique, le « Food forest », que Cesare avait créé. Ils vivent du fruit de la vente de leurs produits, parfois difficilement. Leur combat prend de temps à autre des formes plus actives, voire extrémistes. L’idéalisme des jeunes se heurte toutefois à la réalité, celle de l’amitié, de l’amour, du temps qui passe et des pressions de la société.

C’est donc une histoire romantique, au sens noble, et idéaliste que l’auteur nous offre. « Dévorer le ciel » est surtout une interrogation sur l’avenir : le roman nous montre le désarroi de jeunes qui peinent à trouver leur place dans le monde. Teresa est une belle héroïne, amoureuse désintéressée, courageuse, fidèle à ses convictions. Bern est quant à lui beaucoup plus complexe, intelligent, fidèle lui aussi à ses idées, jusqu’à l’obstination, ce qui le rend parfois égoïste. Avec Nicola et Tommaso, ils forment un trio intéressant qui malheureusement n’est exploité qu’au début du roman. Tommaso est quant à lui en retrait, mais toujours présent au fil des années, lui dont la sensibilité offre à Teresa un autre éclairage sur Bern.

Quelques longueurs au début, quelques digressions qui ont sans doute pour but de présenter la complexité des personnages, de Bern notamment, en nous éclairant sur certains des choix qu’il fera plus tard, puis le roman nous emporte avec lui dans son flot, avec la puissance d’un fleuve, une tension qui monte, la force d’une écriture pourtant douce et un brin nostalgique, qui nous montre que tout est possible et qu’en même temps, rien ne sera plus jamais pareil. L’histoire de la vie, en somme, qui construit et détruit en même temps…

 

Dévorer le ciel, Paolo Giordano, traduit de l’italien par Nathalie Bauer, Editions du Seuil, Paris, août 2019, 454 p.

Divorare il cielo, Paolo Giordano, Einaudi, 2018, 440 p.