Le mystère de Roccapendente, de Marco Malvaldi

Le mystère de Roccapendente

Nous sommes en Toscane, dans la région de la Maremma, en 1895. Le soleil se lève sur le château de Roccapendente. Ce n’est qu’en fin d’après-midi, quand la chaleur commence à diminuer, que le Baron et son entourage sortent du château. Ce jour-là, il s’agit pour la famille Bonaiuti di Roccapendente d’accueillir un invité de marque, le célèbre cuisinier  Pellegrino Artusi, qui a d’ailleurs réellement existé. Chacun y va de son commentaire, essayant d’imaginer l‘apparence de l’hôte attendu : il est vrai qu’à l’époque, comme nous le rappelle l’auteur, on ignore beaucoup de choses sur le compte des personnes célèbres :

« En fin de compte, on se trouve à la fin du dix-neuvième siècle, où les gens célèbres le sont en général pour ce qu’ils font ou ce qu’ils disent, non pour leur aspect physique qui, le plus souvent, demeure inconnu de tous, ou presque. Heureux temps ».

Tandis que la famille guette l’arrivée de son hôte illustre, Marco Malvaldi nous présente une savoureuse galerie de personnages : le Baron a deux fils, Gaddo et Lappo, ainsi qu’une fille, Cecilia. Le fils aîné, Gaddo, toise ses semblables du haut de son arrogance oisive d’homme du monde qui n’est habile qu’à dilapider la fortune familiale. Quant au plus jeune, Lappo, il n’est guère intelligent : poète à ses heures, mais sans talent, Gaddo vit dans l’espoir de rencontrer son idole, le grand poète italien -et toscan- Carducci. Le portrait est en effet sévère :

« Une des malédictions les plus communes pour les hommes puissants est d’avoir un fils idiot. Les exemples historiques sont innombrables avec une évidence particulière dans le monde politique… ».

Au contraire, Cecilia est une jeune fille intelligente au regard franc, malheureusement enfermée dans la retraite forcée des femmes nobles de cette époque. La grand-mère, mère du Baron, est âgée bien sûr, mais aussi obèse et paralytique : une « dignité à roulettes », qui est aidée par Mademoiselle Barbarici, son infirmière et dame de compagnie, qui a peur d’absolument tout et subit en permanence les humiliations de l’odieuse grand-mère. Ajoutons à cela les cousines du baron, deux sœurs qui ont en commun d’être vieille fille et de mener une vie inutile. Enfin, les domestiques : Teodoro, le majordome du baron, la cuisinière Parisina, et la femme de chambre Agatina qui vivent dans les sous-sols, où les maîtres ne descendent presque jamais.

Le lendemain de l’arrivée du grand Artusi, la maisonnée est réveillée par un cri inhumain : le majordome est découvert mort, dans la cave, où il se trouve enfermé de l’intérieur. Teodoro était un majordome élégant, d’une aide précieuse, et à l’esprit facétieux, lui qui n’hésitait pas à ne porter ni chaussettes ni caleçon sous son uniforme, en raison de la chaleur. Le médecin ne pouvant conclure à une mort naturelle, il appelle le délégué à la sécurité publique, Artistico, qui vient rapidement mener son enquête. Sa présence n’empêchera toutefois pas le Baron d’être lui-aussi victime d’une tentative d’assassinat…

Le mystère évoqué dans le titre n’est finalement pas l’élément essentiel de ce roman très réjouissant. Comme le titre français, celui de l’édition espagnole met l’accent sur l’enquête, et l’on pourrait traduire « El caso del mayordomo assessinado » par « L’affaire du majordome assassiné ». Pourtant l’édition italienne ne fait aucune référence à l’intrigue policière : le titre, « Odore di chiuso » que je traduirais par « une odeur de renfermé », évoquant davantage la fin d’un monde, et le huis clos dans lequel vit la famille Bonaiuti.

En effet, tout est prétexte à la moquerie de l’auteur qui se place souvent en commentateur averti de l’affaire. Nous sommes à la fin du XIXème siècle, soit trente ans après le début d’une unité italienne qui n’est pas toujours réalisée dans les faits. La noblesse joue encore un rôle prépondérant, dans les campagnes notamment, mais elle est en pleine décadence et commence à perdre peu à peu son pouvoir.

« Le problème, quand on a été élevé de manière dogmatique, réside en ce que, en général, sitôt sorti des situations connues et définies, dans lesquelles on est parfaitement à l’aise, on perd la tête. Le code du savoir-vivre du noble bien éduqué, par exemple, n’expliquait pas du tout de quelle manière il faut se comporter quand on tire sur un de vos parents par traîtrise à travers une haie ».

Peu habitué à recevoir des ordres, le baron (terme parfois utilisé par l’auteur dans une acception plus moderne faisant référence à « un certain type de personnes et leur utilisation de la chose publique ») et sa famille n’acceptent pas l’ingérence du délégué à la sécurité publique. Lequel est lui aussi prompt à laisser libre cours à ses préjugés en accusant rapidement la femme de chambre. A travers ce portrait d’un monde décadent surgit une critique de l’Italie contemporaine, qui fait du Mystère de Roccapendente, une lecture très divertissante.

Le mystère de Roccapendente, Marco Malvaldi, 10/18, Collection Grands Détectives, Paris, juin 2013, 209 p.

****

Un des personnages principaux du « mystère de Roccapendente » de Marco Malvaldi est le cuisinier italien Pallegrino Artusi qui a réellement existé : né en 1820 et mort en 1911, Artusi est l’auteur du livre qui a contribué à construire l’identité culinaire des italiens, « La scienza in cucina e l’arte di mangiar bene » (« La science en cuisine et l’art de bien manger »).

CopArtusi2

 

Publié pour la première fois en 1891, « La scienza in cucina e l’arte di mangiar bene » a été la source de l’inspiration culinaire de plusieurs générations de chefs. Son auteur, Pellegrino Artusi, y a réuni 475 recettes, fruit d’années d’expérience et de nombreux voyages. L’auteur a procédé à de nombreux ajouts, et la dernière édition publiée après sa mort ne contenait pas moins de 790 recettes. Le livre est régulièrement réédité en Italie : la dernière édition, commentée et annotée, a été publiée en 2010.

 

scienza in cucina 2010

 

La ville natale d’Artusi, Forlimpopoli, en Emilie-Romagne, accueille aujourd’hui de nombreuses manifestations dédiées à la cuisine. Depuis 1997, la Festa artusiana, se déroule chaque année pendant une dizaine de jours au mois de juin et réunit des gastronomes en tous genres, amateurs et spécialistes, autour de dégustations, de cours, de conférences, avec la présence dans la ville, bien sûr, de nombreux points de restauration…

 

forimpopoli

 

Une maison dédiée à Artusi a également été créée en 2007 : la casa Artusi est un centre consacré à la culture gastronomique, et plus particulièrement à la cuisine domestique ou familiale.

 

Pour en savoir plus (source) : http://www.pellegrinoartusi.it/

 

 

 

 

 

Une histoire simple, Leonardo Sciascia

 L’auteur

 

SciasciaLeonardo Sciascia est né en Sicile en 1921. Issu d’un milieu modeste, il étudie à l’école normale et devient instituteur dans son village natal, Racalmuto. Il publie quelques années plus tard « Les paroisses de Regalpetra« ,  roman dans lequel il décrit son expérience d’enseignant. Employé ensuite au Ministère de l’éducation, il continue à écrire de nombreux livres, tout en menant une activité de journaliste. Il prend sa retraite en 1970 et se consacre totalement à l’écriture. Il décède en 1989. Une histoire simple a été publiée à titre posthume.

 

Une histoire simple

 

 

una-storia-semplice-sciasciaUna storia semplice , de Leonardo Sciascia, est un roman policier qui se déroule en Sicile. La veille de la Saint-Joseph, le commissariat de police de Monterosso reçoit un appel téléphonique de la part de Giorgio Roccella, qui demande à parler au préfet de police ou au commissaire. C’est finalement un brigadier qui prend l’appel et promet de passer le lendemain voir ce que l’homme a trouvé chez lui, une « chose » dit-il, qu’il veut montrer à la police.

En arrivant sur les lieux le lendemain, le brigadier découvre le cadavre de Giorgio Roccella. Il pense aussitôt à un assassinat, tandis que le préfet, sûr de lui, conclut aussitôt à un suicide. Mais en quelques pages, tout bascule. Un nouvel événement vient s’ajouter au meurtre, puis d’autres éléments apparaissent bientôt, et l’histoire ne se révèle finalement pas si simple que le commissaire le laissait entendre… et pour cause ! On comprend vite que ce dernier a menti, ce qui lui sera d’ailleurs fatal.

La quatrième de couverture le souligne : « une histoire simple, c’est une histoire très compliquée, un polar sicilien sur arrière-plan de mafia et de drogue ». En effet, il s’agit d’un un récit policier très court, mais très dense, dans lequel s’illustre toute la virtuosité de Sciascia. En si peu de pages, soixante-sept au total, tout est dit. Ou plutôt, tout y est : la corruption et la mafia, la rivalité entre policiers et carabiniers, le mépris de supérieurs diplômés envers leurs subordonnés, la loi du silence, et la lâcheté qui conduit à préférer une histoire simple à la réalité. Car pas une seule fois, l’auteur n’écrit les mots mafia, drogue, corruption, omertà…

Una storia semplice peut aujourd’hui être considéré comme un classique de la littérature italienne ; il est d’ailleurs étudié à l’école en Italie. Publié il y a environ vingt-cinq ans, peu après la mort de Leonardo Sciascia, ce récit se fonde sur l’observation d’une Sicile minée par la mafia et résignée à son sort. La réalité est un peu différente aujourd’hui, après le travail effectué par les juges anti-mafia à partir des années quatre-vingt-dix. La société sicilienne a en effet évolué et si la mafia est toujours fortement implantée en Sicile, elle se heurte maintenant à des oppositions, certains n’hésitant pas à parler ouvertement et à refuser de lui obéir aveuglément.

Una storia semplice est traduit en français par Mario Fusco , mais si vous désirez le lire en italien, ce n’est pas un texte difficile malgré ça et là, quelques construction de phrases assez complexes. Le langage utilisé est simple et l’auteur ne recourt jamais au dialecte sicilien. Mais le récit a l’avantage d’être très court, ce qui est l’occasion de découvrir, dans le texte, un grand auteur italien.

 

Una storia semplice, Leonardo Sciascia, Piccola Biblioteca 238, Adelphi, Milano, 1989, 67 p.

Une histoire simple, Leonardo Sciascia, traduit de l’italien par Mario Fusco, Fayard, Paris, 1992, 76p. Ou aux Editions 10/18, Paris , 2004, 87p.

 

Une histoire simple

La briscola à cinq, Marco Malvaldi

L’auteur

 

Malvaldi

Marco Malvaldi, est né à Pise en 1974. Après avoir été tour à tour chercheur en chimie à l’université de Pise, puis chanteur lyrique professionnel, il s’est tourné vers l’écriture de romans policiers. Il a d’abord publié un polar historique, Le mystère de Roccapendente, puis a entamé la série des retraités du Bar Lume, dont La briscola à cinq est le premier épisode.

 

La briscola in cinque

 

La briscola à cinq

Pour nous plonger dans l‘atmosphère des vacances, rien de tel que ce polar italien qui évoque cappucino et foccaccia, puisqu’il a pour décor principal un bar de la côte toscane.

L’action se déroule en effet à Pineta, petite station balnéaire toscane à la mode. Massimo y est un patron de bar particulièrement attentif à la santé de ses clients, mais aussi au respect des habitudes italiennes, et de ses propres envies : il ne servira jamais un café en pleine chaleur, surtout parce qu’il a lui-même trop chaud pour le préparer, ni un apéritif avant le déjeuner, parce que c’est pour lui une « aberration mentale » de boire de l’alcool à jeun dans un bar climatisé avant de s’exposer aux quarante degrés ambiants de la Toscane au mois d’août.

Massimo surveille également le nombre de crèmes glacées qu’ingurgite son papy, fringant octogénaire qui squatte le Bar Lume avec sa bande de copains, et dont l’activité favorite est la briscola, jeu de carte italien. Sans oublier la pratique du sport national : « se mêler de ce qui ne vous regarde pas » autrement dit, la « chiachierrata », « tchatche » qui consiste à donner son avis sur tout et à le proclamer haut et fort.

Et l’occasion de se mêler de ce qui ne les regarde pas est offerte aux retraités du Bar Lume, lorsque Massimo voit entrer dans son café un jeune homme fortement alcoolisé qui dit avoir découvert un cadavre dans une poubelle et en avoir informé la police qui ne l’a pas cru, en raison de son état d’ébriété. L’information est pourtant réelle et Massimo se retrouve rapidement au commissariat, aux prises avec « l’Illustrissime commissaire Fusco », un homme antipathique, « susceptible, arrogant, obstiné, prétentieux et vaniteux » qui lui demande de le tenir au courant s’il en apprend davantage sur la victime, la jeune Alina Costa. Dès lors, Massimo s’improvise enquêteur malgré lui, et c’est notamment en écoutant clients et habitués, que ce patron de bar à l’intelligence supérieure finit par élucider le meurtre, après avoir évité à un innocent une inculpation trop rapide.

La briscola à cinq est un excellent polar fondé sur la réflexion, et centré autour d’un patron de bar atypique, héros sérieux, à l’humour bien particulier, qui sait tirer profit de ce qu’il voit et entend autour de lui. On ne demande qu’à découvrir la suite de la série qui connaît un grand succès en Italie, mais qui n’est pas encore traduite en français.

La briscola à cinq, Marco Malvaldi, traduit de l’italien par Nathalie Bauer, éditions 10/18, collection Grands détectives, Paris, juin 2014, 167 p.

 

 

Le guépard, Giuseppe Tomasi di Lampedusa

L’auteur

 Giuseppe Tomasi, duc de Palma et prince de Lampedusa, est né en Sicile, à Palerme, en 1896. Il se passionne pour la littérature, mais commence à écrire sur le tard. C’est en effet entre 1955 et 1957, année de sa mort, qu’il rédige son seul roman, Le Guépard, aujourd’hui traduit dans toutes les langues. Lampedusa est également l’auteur d’un recueil de nouvelles, Le professeur et la sirène.

Le guépard

 

Il_gattopardoIl gattopardo  a été publié à titre posthume, un an après la mort de son auteur, Giuseppe Tomasi di Lampedusa. Le manuscrit avait d’abord été refusé par Elio Vittorini, écrivain et directeur littéraire des éditions Einaudi. Un refus qu’il motivait, dans une lettre adressée à Lampedusa, par le fait, entre autres, que le livre, déséquilibré dans sa structure, ne parvienne pas à atteindre son but : être à la fois le récit d’une époque et le récit de la décadence de cette époque.

Pourtant, c’est précisément ce que nous offre Le guépard. Lampedusa nous introduit en effet dans le quotidien d’une grande famille noble sicilienne, celle du prince Don Fabrizio Salina, au moment où Garibaldi débarque en Sicile avec ses troupes puis parvient à rattacher le royaume des Deux-Siciles au royaume d’Italie, après avoir progressé rapidement face à la faible résistance des soldats bourbons.

Le prince Salina lui-même, ne s’oppose pas à ce qui représentera un véritable bouleversement pour l’aristocratie, soutenant même son neveu Tancredi dans ses choix politiques, lui qui rejoint les libéraux de Garibaldi, par opportunisme, ayant compris que l’avenir était dans ce changement. Tancredi explique en effet à son oncle dans une des phrases clé du roman :

« se vogliamo che tutto rimanga com’è, bisogna che tutto cambi » (Si nous voulons que tout continue, il faut que d’abord tout change »).

Puisqu’une nouvelle domination apparaît sur la Sicile qui a déjà subi de nombreux épisodes de colonisations étrangères, Tancredi a choisi d’être acteur de ce changement, afin de garder son pouvoir et ses privilèges :

« se non ci siamo anche noi, quelli te combinano la repubblica » (Si nous n’y sommes pas, nous aussi, ils fabriqueront une république).

Le guépard est donc, de 1860 à 1910, la saga de cette famille noble -dont l’écusson orné d’un guépard donne son nom au livre-, et de sa disparition progressive, avec la perte de son influence et de ses biens, grands domaines agricoles et palais, au profit de la bourgeoisie en pleine ascension, représentée par Don Calogero, personnage intelligent, parvenu, mais sans aucune culture, et par sa fille, la très belle Angelica. Cette dernière est remarquée par Tancredi, au grand désespoir de sa cousine Concetta, la fille du prince Salina, qui espérait épouser le jeune homme. Tancredi choisira la fortune d’Angelica, plutôt que l’amour profond que lui porte sa cousine, parce qu’Angelica représente l’avenir.

Au roman historique, Lampedusa ajoute donc une étude psychologique moderne des personnages, en particulier du Prince Salina, dont il souligne la mélancolie fataliste, face au cours des événements, face à la décadence de toute une classe sociale.

Il gattopardo, qui a reçu le prestigieux prix Strega en 1959, est aujourd’hui devenu un classique de la littérature italienne. Il est, à mon avis, à conseiller à des lecteurs de niveau C1 en italien (avancé) au minimum. Ma préférence va à la lecture du roman original, d’abord, puis de sa traduction française ensuite, afin de saisir toutes les nuances. Je préfère cela nettement à une édition bilingue qui empêche une lecture fluide.

Le roman a été adapté au cinéma par Luchino Visconti, film qui constitue également un chef d’œuvre du cinéma italien, à la distribution prestigieuse : Burt Lancaster, Alain Delon, Claudia Cardinale, et qui obtint la Palme d’Or au festival de Cannes de 1963.

Il gattopardo, Giuseppe Tomasi di Lampedusa, Feltrinelli editore, Universale Economica, Milano, juillet 2010, 301 p.

Le guépard, Giuseppe Tomasi di Lampedusa, traduit de l’italien par Fanette Pézard, Seuil, collection Points, Paris, 1980, 251 p.

Le guépard, dans une nouvelle traduction de Jean-Paul Manganaro, Seuil, Paris, avril 2014.

Le guépard nouvelle traduction

 

Livre lu, en italien, puis en français, dans le cadre du challenge Leggere in italiano, du challenge Il viaggio et du challenge Histoire.

logo-challenge-in-italia1challenge italieChallengehistoireessai1

Un hiver à Rome, Elisabetta Rasy

L’auteur

Elisabetta Rasy vit à Rome où elle est née en 1947. Elle est à la fois écrivain, journaliste et critique littéraire. Elle s’est beaucoup intéressée à la littérature féminine et féministe,  se consacrant notamment à de nombreux portraits de femmes écrivains, parmi lesquelles Edith Wharton, Nina Berberova, Ágota Kristóf, ou Elsa Morante.

Elisabetta Rasy a écrit plusieurs romans, dont une dizaine sont traduits en français. Elle a également reçu plusieurs prix littéraires italiens et a été finaliste du célèbre Prix Strega en 1995.

elisabetta rasy

 

Un hiver à Rome

 

Un hiver à Rome

Costanza est une romaine âgée d’une cinquantaine d’années. Mariée à Vincenzo un peu par hasard, simplement parce qu’il l’avait alors demandée en mariage, Costanza se trouve aujourd’hui à un tournant de sa vie. Vincenzo a choisi de prendre sa retraite à la campagne, mais Costanza s’y ennuie, alors elle rentre à Rome, « parce que la vie à la campagne avait pris, à ses yeux, l’allure d’un crissement de craie sur une ardoise ».

Costanza n’aime pas l’hiver. La grisaille et le froid l’empêchent de se lever le matin, tandis que l’ennui l’empêche de rester couchée. Ce matin-là, elle doit se rendre à un mariage qui a lieu dans un mausolée. Certes, c’est un lieu étrange pour un tel événement, mais Costanza éprouve un coup de foudre pour cet endroit, peut-être parce qu’il est dédié à la sainte qui porte son prénom. Ou sans doute aussi parce que, dans ce mausolée, Costanza commence à réfléchir à son passé.

Costanza revient en effet sur quelques épisodes marquants de sa vie. Son mariage, les enfants qu’elle n’a pas eus avec Vincenzo, son travail, d’abord dans un lycée, un poste qu’elle a quitté, car il l’ennuyait également. Puis elle a rencontré Bruno, un photographe allemand plus âgé qu’elle et elle est devenue en quelque sorte son assistante, et également son amie. Bruno la comprend si bien, lui pour qui la distraction de Costanza n’est que le symptôme de la concentration d’une femme plongée dans ses pensées.

Malade depuis quelques mois, Bruno a décidé de léguer à Costanza son ordinateur. Elle le connait bien puisqu’elle l’utilisait pour travailler avec Bruno. Costanza y retrouve donc les « fragments » qu’elle connaissait déjà, de magnifiques photos que Bruno avait prises des statues en morceaux de Rome :

« Des visages de femmes et d’hommes à la face blessée regardaient l’objectif de leurs orbites vides, cependant il n’y avait pas d’horreur dans ces membres épars, ni d’effroi dans leur vision. Ils surgissaient de l’obscurité sou la lumière du photographe, tels les détails d’un corps qui demeurent dans la mémoire, lumineux et animés. C’étaient les statues en morceaux que Bruno avaient aimées, jeune homme : il les avaient montrées dans une lumière claire et douce, ainsi qu’on montre le visage d’une femme non plus jeune, mais tenacement accrochée à la jeunesse ».

Mais l’ordinateur contient une autre surprise, dans laquelle Costanza se jette aussitôt. L’occasion d’une nouvelle rencontre qui lui apportera la sérénité entrevue depuis sa visite au mausolée et son engagement sur le chemin de la réflexion.

Le roman d’Elisabetta Rasy est empreint de pudeur, de retenue et de délicatesse, dans son évocation d’une femme qui s’interroge sur sa vie, ses amours, ses amitiés. L’écriture de l’auteur est pleine de finesse, et révèle avec précision les différentes lumières de l’hiver romain dans lequel se côtoient des sentiments parfois exacerbés et l’ennui profond, au milieu de statues antiques immuables aux couleurs neutre et douces, intemporelles.

Un hiver à Rome, Elisabetta Rasy, traduit de l’italien par Nathalie Bauer, Editions Seuil, Paris, mars 2014, 113 p.