Km 123, Andrea Camilleri

 

Voici le dernier roman d’Andrea Camilleri, dans tous les sens du terme, puisqu’il est paru en mars 2019, soit quelques mois avant la disparition du maestro sicilien ! Et c’est encore une jolie réussite puisque ce « giallo » très court est très plaisant à lire. C’est en effet un roman policier très prenant, même si l’intrigue n’est pas compliquée et si j’avais découvert le coupable avant la fin de ma lecture, sans pour autant connaître les détails de l’affaire !

C’est au kilomètre 123 de la Via Aurelia que Giulio est victime d’une grave accident de la route. Transféré à l’hôpital dans un état grave, il ne répond bien sûr pas aux textos empressés, inquiets puis affolés qu’Esther lui envoie. C’est Giuditta, la femme de Giulio, qui récupère le téléphone de son mari et le rallume. L’accident va-t-il être le point de départ d’un vaudeville entre le mari, la femme et l’amant ? Cela aurait pu être le cas, mais un témoin va révéler qu’il ne s’agissait peut-être pas d’un simple accident…

L’originalité de « Km123 » réside dans la narration qui, excepté quelques extraits d’articles de presse et des rapports de police relatant les faits, est presque exclusivement fondée sur des dialogues : échanges de textos, conversations téléphoniques… Le roman se déroule à Rome, mais il n’y a ni description des lieux, ni analyse psychologique des personnages : le tout donne un certain dynamisme au roman qui se lit d’une traite. Pas encore traduit en français, il est facile à lire en italien et ne contient pas d’expressions dialectales, comme les Montalbano.

« Km 123 » est suivi du texte d’une intervention de Camilleri consacrée au genre policier en Italie, et prononcée lors d’un colloque qui s’est tenu à l’Université de Rome en 2003.

 

Km 123, Andrea Camilleri, Mondadori Gialli, mars 2019, 154 p.

 

Lu dans le cadre de la semaine italienne organisée par Martine.

La concession du téléphone, Andrea Camilleri

la concession du téléphoneNous sommes à Vigatà, localité imaginaire de Sicile, en 1891. Genuardi Filippo, négociant en bois, est friand de nouveautés. Il désire obtenir la concession d’une ligne téléphonique à usage privé, et envoie donc un courrier administratif en bonne et due forme au préfet de Montelusa. Un mois après, n’ayant pas reçu de réponse, Genuardi Filippo réitère sa demande tout en excusant très poliment l’administration pour ce qu’il considère comme un banal retard. Une démarche qu’il renouvelle encore un mois plus tard, en y mettant les formes les plus soignées afin de se faire pardonner d’oser importuner l’administration !

En octobre, notre homme finit par recevoir un courrier lui indiquant qu’il doit s’adresser à l’administration des postes et télécommunications, seule compétente en la matière. Mais le préfet ne se contente pas de répondre. En effet, piqué par l’insistance mielleuse de Filippo et par son opiniâtreté à écorner son nom de famille –faute répétée qui selon le préfet ne peut qu’être le fruit d’une volonté sournoise de se moquer ou de sous-entendre on ne sait quoi-, s’interroge sur les motivations réelles de Genuardi Filippo et adresse un courrier en haut lieu afin d’attirer l’attention sur cet individu désormais suspect.

C’est ainsi que les choses s’enchaînent, puis s’emballent. Tous s’y mettent, police, carabiniers, et bien sûr la mafia ! L’intrigue se déroule sous la forme d’échanges épistolaires entre les différents protagonistes de l’affaire. Les quiproquos sont savoureux et les rebondissements nombreux. Camilleri joue de son imagination très fertile, et s’amuse en pastichant le langage très formel d’usage -encore aujourd’hui d’ailleurs- dans les administrations italiennes !

Cette lecture fut un vrai régal, comme souvent avec Camilleri, mais je dois dire que je me suis amusée tout particulièrement en repensant à certains démêlés que j’ai pu avoir avec des administrations, comme nous tous, et cela m’a fait du bien de m’en moquer, par livre interposé !

 

La concession du téléphone, Andrea Camilleri, traduit de l’italien par Dominique Vittoz, Fayard, Paris 1999, 283 p.

 

A lire, du même auteur : La secte des anges

 

La secte des anges, Andrea Camilleri

L’auteur

 

camilleri

 

Né à Porto Empedocle, près d’Agrigente en Sicile en 1925, Andrea Camilleri a d’abord connu une longue carrière de metteur en scène et de réalisateur. Il a publié son premier roman à compte d’auteur en 1978, mais « Le cours des choses » fut alors un échec. Sa carrière de romancier ne commence qu’en 1981, à l’âge de cinquante-sept ans, avec la publication du roman « Il filo di fumo »/« Un filet de fumée  », qui se déroule dans le bourg imaginaire de Vigatà.

En 1992, son second roman, « La saison de la chasse » paraît chez Sellerio. En 1994, avec « La forme de l’eau », il donne naissance au désormais célèbre commissaire Montalbano, dont la série éponyme sera adaptée à la télévision. Andrea Camilleri commence à remporter un grand succès et sa production devient très importante. À côté de la série des Montalbano, il est l’auteur de nombreux romans, parmi lesquels « La concession du téléphone » ou « La secte des anges », plus récemment publié en français.

En 2003, sa ville natale, Porto Empedocle, prend comme deuxième nom celui de la petite ville imaginaire de Vigatà où Camilleri situe la plupart de ses romans. Aujourd’hui, à presque quatre-vingt-dix ans, Camilleri continue à écrire. Sa dernière enquête du commissaire Montalbano, « La giostra degli scambi » est sortie en Italie en 2015.

 

La secte des anges

 

La secte des anges CamilleriAndrea Camilleri n’est pas seulement le père du commissaire Montalbano. Il est également l’auteur de romans fondés sur des faits historiques qui se déroulent en Sicile. Une fois encore, il nous emmène sur sa magnifique île, mais dans un bourg imaginaire, Palizzolo. Nous sommes au début du XXème siècle et deux familles aristocratiques sont cloîtrées dans leur palais, pour cause de maladie contagieuse. Dans chacune de ces familles, une jeune fille âgée de dix-huit ans serait à l’origine de la maladie. Devant les volets fermés des belles demeures, la rumeur naît en un instant : le choléra est de retour ! Aussitôt, les voisins s’empressent de rassembler quelques affaires dans la plus grande hâte, avant de fuir à la campagne. Palizzolo se vide rapidement.

Face au désordre provoqué par la rumeur, les carabiniers interviennent et rétablissent la vérité :  s’il s’agit bien d’une sorte d’ «épidémie», celle-ci est très particulière : les deux jeunes filles sont enceintes, chacune de deux mois. Et bien vite, on apprend qu’elles seraient quatre dans le même cas ! Aucune d’entre elles ne peut dire ce qui s’est passé : l’œuvre du Saint-Esprit, à leur avis !

L’avocat et journaliste Matteo Teresi se retrouve mêlé à cette histoire par l’entremise de son neveu Stefano. Il décide de tirer les faits au clair et découvre l’existence d’autres victimes du Saint-Esprit ! Mais Matteo Teresi est désigné comme responsable de la situation par sept des huit prêtres de la petite ville : lui qui dérange, parce qu’il est le défenseur des faibles, aurait provoqué la colère divine qui se déverse sur Palizzolo ! L’avocat mène alors son enquête et parvient à résoudre l’affaire, dont il révèle finalement tous les éléments dans son journal.

L’affaire ne s’arrête pas là : comme l’avait averti le capitaine des carabiniers, le vent risque de tourner pour Teresi; en effet, les justes ne sont pas toujours reconnus… L’intérêt principal de ce roman réside pour moi dans la façon dont l’auteur décrit comment, de héros de la vérité, Matteo Teresi est devenu pour l’opinion publique locale, le responsable de tous les maux dont souffre Palizzolo.

« Ce roman doit être considéré comme le pur produit de mon imagination » précise Andrea Camilleri dans sa postface ; La secte des anges n’en n’est pas moins fondée sur un fait réel survenu en 1901 en Sicile. Et la description que l’auteur nous propose des rapports entre les différentes classes sociales, aristocratie, clergé, bourgeoisie intellectuelle, paysannerie et mafia locale, bien sûr, est aussi très représentative de la Sicile de cette époque.

On y retrouve également toutes les figures de la comédie sicilienne que Camilleri met en scène avec humour, les carabiniers, le juge d’instruction, les prêtres, dans un langage fleuri truculent, qui fait de La secte des anges un roman savoureux, même s’il est grave sur le fond. Andrea Camilleri émaille ses récits de nombreuses expressions tirées du sicilien que bon nombre d’italiens non siciliens ne comprennent que par le contexte.

Le traducteur a fait ici un travail remarquable, utilisant en français des termes inconnus de beaucoup de lecteurs, mais qui sont tellement contextualisés qu’on en devine aussitôt le sens. À cet égard, j’ai fait quelques recherches et j’ai trouvé que certains termes français provenaient de patois, d’autres étaient argotiques, mais beaucoup sont restés pour moi sans explication. Si vous l’avez lu, peut-être pourrez-vous m’éclairer à ce sujet…

 

La secte des anges, Andrea Camilleri, traduit de l’Italien par Dominique Vittoz, Fayard, Paris, septembre 2014, 253p.

Livre lu dans le cadre du Challenge Il viaggio chez Eimelle.

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